L’entreprise individuelle a connu une révolution majeure depuis la loi du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante. Cette réforme a non seulement simplifié le statut unique de l’entrepreneur individuel, mais a également introduit une possibilité inédite : l’option pour l’impôt sur les sociétés sans modification de la structure juridique. Cette évolution représente un tournant décisif pour les entrepreneurs souhaitant optimiser leur fiscalité tout en conservant la simplicité de l’entreprise individuelle.

Traditionnellement soumis à l’impôt sur le revenu dans les catégories BIC, BNC ou BA, l’entrepreneur individuel peut désormais choisir d’être imposé selon les règles de l’impôt sur les sociétés. Cette option fiscale révolutionnaire ouvre de nouvelles perspectives d’optimisation, particulièrement intéressantes pour les entrepreneurs générant des bénéfices substantiels qu’ils souhaitent réinvestir dans leur activité.

Régime fiscal de l’entreprise individuelle classique selon l’article 34 du CGI

L’entreprise individuelle relève naturellement du régime de l’impôt sur le revenu, conformément aux dispositions de l’article 34 du Code général des impôts. Cette imposition s’effectue dans différentes catégories selon la nature de l’activité exercée. Les commerçants et artisans sont imposés dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) , tandis que les professions libérales relèvent des bénéfices non commerciaux (BNC) . Les exploitants agricoles, quant à eux, sont soumis au régime des bénéfices agricoles (BA) .

Le mécanisme d’imposition traditionnel présente une caractéristique fondamentale : l’intégralité du bénéfice réalisé par l’entreprise individuelle est soumise au barème progressif de l’impôt sur le revenu, indépendamment des sommes effectivement prélevées par l’entrepreneur. Cette approche peut générer une charge fiscale importante lorsque les bénéfices atteignent les tranches supérieures du barème, avec des taux pouvant atteindre 45% pour la tranche marginale la plus élevée.

L’entrepreneur individuel sous régime IR ne peut pas déduire sa propre rémunération du résultat imposable, contrairement aux dirigeants de sociétés. Cette spécificité engendre souvent une optimisation fiscale limitée , particulièrement problématique pour les entrepreneurs souhaitant constituer des réserves ou réinvestir massivement dans leur outil de production. Le régime classique impose également le versement de cotisations sociales calculées sur l’ensemble du bénéfice, majorant ainsi la charge globale supportée par l’entrepreneur.

Conditions d’éligibilité à l’option IS pour les entrepreneurs individuels

Critères de chiffre d’affaires et seuils micro-entreprise

L’option pour l’impôt sur les sociétés en entreprise individuelle n’est accessible qu’aux entrepreneurs relevant d’un régime réel d’imposition . Les micro-entrepreneurs doivent impérativement sortir du régime de la micro-entreprise avant de pouvoir exercer cette option fiscale. Cette condition exclut de facto les entrepreneurs réalisant un chiffre d’affaires inférieur aux seuils micro, soit 77 700 euros pour les prestations de services et 188 700 euros pour les activités commerciales.

Cette exigence s’explique par la nécessité de tenir une comptabilité commerciale complète, incompatible avec la comptabilité simplifiée du régime micro. L’entrepreneur souhaitant opter pour l’IS doit donc accepter les obligations comptables renforcées du régime réel, incluant la tenue d’un livre-journal, d’un grand livre et l’établissement d’un bilan annuel.

Statut juridique requis : EIRL vs entreprise individuelle classique

Depuis la réforme de 2022, la distinction entre l’EIRL et l’entreprise individuelle classique a disparu. Le nouveau statut unique d’entrepreneur individuel intègre automatiquement la protection du patrimoine personnel, anciennement réservée à l’EIRL. Cette unification simplifie considérablement l’accès à l’option IS, puisque tout entrepreneur individuel peut désormais en bénéficier, sans démarche préalable de déclaration d’affectation.

L’option pour l’IS entraîne une assimilation fiscale à une EURL ou une EARL pour les activités agricoles. Cette assimilation ne modifie pas la structure juridique de l’entreprise, mais crée une personnalité fiscale distincte de l’entrepreneur. Cette séparation fiscale permet d’appliquer les règles de l’impôt sur les sociétés tout en conservant la simplicité juridique de l’entreprise individuelle.

Démarches administratives auprès du SIE et délais d’option

La procédure d’option s’effectue par notification écrite au Service des Impôts des Entreprises du lieu d’établissement principal. Cette notification doit intervenir dans les trois premiers mois de l’exercice au cours duquel l’entrepreneur souhaite voir appliquer l’option. Un délai strict qui nécessite une planification rigoureuse, particulièrement pour les entreprises créées en cours d’année.

La notification doit mentionner précisément la dénomination et l’adresse de l’entreprise individuelle, ainsi que les nom, prénom, adresse et signature de l’entrepreneur. Le service des impôts délivre un récépissé confirmant la réception de cette notification. L’option prend effet de manière rétroactive au premier jour de l’exercice concerné, permettant une optimisation fiscale immédiate dès validation par l’administration.

Exclusions sectorielles : professions libérales et BNC

Contrairement aux idées reçues, l’option IS n’exclut pas les professions libérales. Les entrepreneurs exerçant une activité relevant des BNC peuvent également opter pour l’impôt sur les sociétés, sous réserve de respecter les conditions générales d’éligibilité. Cette possibilité concerne notamment les consultants, architectes, avocats ou experts-comptables exerçant en entreprise individuelle.

Certaines activités spécifiques peuvent néanmoins faire l’objet de restrictions particulières. Les professions réglementées doivent vérifier la compatibilité de l’option IS avec leur statut professionnel. Par exemple, certaines professions de santé peuvent être soumises à des contraintes déontologiques spécifiques limitant les modalités d’exercice sous régime IS.

Mécanisme de l’option IS en entreprise individuelle selon l’article 239 bis AB du CGI

Transformation fiscale sans modification du statut juridique

L’article 239 bis AB du Code général des impôts organise un mécanisme unique de transformation fiscale pure . L’entrepreneur conserve son statut juridique d’entreprise individuelle tout en bénéficiant du régime fiscal des sociétés de capitaux. Cette dualité représente une innovation majeure du droit fiscal français, conciliant simplicité juridique et optimisation fiscale avancée.

Sur le plan juridique, l’entrepreneur reste propriétaire de l’ensemble des actifs professionnels et supporte personnellement les dettes de l’entreprise. Fiscalement, l’administration considère l’existence d’une personnalité fiscale autonome , permettant l’application des règles spécifiques à l’impôt sur les sociétés. Cette dichotomie génère des opportunités d’optimisation tout en préservant la flexibilité de l’entreprise individuelle.

La transformation fiscale sans modification juridique constitue une révolution dans l’approche française de la fiscalité des entrepreneurs individuels, offrant une flexibilité inédite.

Calcul de l’assiette imposable et déductions professionnelles

Le calcul du bénéfice imposable sous régime IS suit les règles applicables aux sociétés de capitaux. La principale différence réside dans la déductibilité de la rémunération de l’exploitant , considérée comme une charge d’exploitation. Cette déduction réduit mécaniquement le résultat imposable à l’IS, générant un premier niveau d’optimisation fiscale.

Les charges déductibles incluent l’ensemble des frais professionnels justifiés : frais de déplacement, formation, équipements, loyers professionnels, assurances, etc. L’entrepreneur peut également déduire ses cotisations sociales personnelles obligatoires, ainsi que les cotisations aux régimes complémentaires facultatifs. Cette approche extensive de la déductibilité contraste avec les limitations du régime IR, particulièrement en matière de frais professionnels forfaitaires .

Type de charge Régime IR Régime IS
Rémunération de l’exploitant Non déductible Déductible
Cotisations sociales Déductibles Déductibles
Frais professionnels Limités Étendus

Modalités de rémunération de l’exploitant sous régime IS

L’entrepreneur individuel sous régime IS dispose d’une flexibilité totale dans la détermination de sa rémunération. Il peut moduler ses prélèvements en fonction de ses besoins personnels et de la situation financière de l’entreprise. Cette souplesse permet d’optimiser la charge fiscale globale en arbitrant entre rémunération imposable à l’IR et bénéfices soumis à l’IS.

La rémunération versée est imposable à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des traitements et salaires, bénéficiant de l’abattement forfaitaire de 10% pour frais professionnels. Les sommes non prélevées restent dans l’entreprise et constituent des réserves imposées à l'IS aux taux réduits de 15% jusqu’à 42 500 euros, puis 25% au-delà. Cette structure tarifaire avantageuse permet de différer l’imposition personnelle tout en bénéficiant de taux d’imposition modérés.

Traitement des charges sociales MSA et URSSAF

Le régime des cotisations sociales sous option IS présente des spécificités importantes. L’entrepreneur reste affilié au régime des travailleurs non-salariés, mais l’assiette de calcul se limite à sa rémunération effective et aux éventuels dividendes distribués excédant 10% du bénéfice net. Cette limitation génère une économie substantielle de cotisations sociales comparativement au régime IR où l’intégralité du bénéfice constitue l’assiette.

La MSA pour les activités agricoles et l’URSSAF pour les autres activités calculent les cotisations sur la base des rémunérations déclarées. L’entrepreneur peut ainsi maîtriser sa charge sociale en modulant ses prélèvements. Attention toutefois à la règle des dividendes : la fraction excédant 10% du bénéfice net supporte les cotisations sociales au taux plein, limitant l’optimisation par cette voie.

Comparatif fiscal : impôt sur le revenu vs impôt sur les sociétés

L’analyse comparative entre les deux régimes révèle des écarts significatifs selon le niveau de bénéfices et la stratégie patrimoniale de l’entrepreneur. Le régime IR applique le barème progressif sur l’intégralité du bénéfice, générant des taux marginaux pouvant atteindre 45%. Le régime IS propose une structure à deux niveaux : 15% jusqu’à 42 500 euros de bénéfices, puis 25% au-delà, sous réserve de respecter la condition de chiffre d’affaires inférieur à 10 millions d’euros.

Pour un bénéfice de 80 000 euros, un entrepreneur célibataire sans enfant supporterait environ 24% d’imposition marginale sous régime IR, contre un taux effectif de 20% sous régime IS. L’écart s’accentue avec l’augmentation des bénéfices : à 150 000 euros, le taux marginal IR atteint 41%, tandis que l’IS reste à 25%. Cette progressivité limitée de l’IS constitue un avantage majeur pour les entrepreneurs aux bénéfices élevés.

L’option IS devient particulièrement intéressante à partir de 50 000 euros de bénéfices annuels, seuil où les économies fiscales compensent les coûts de gestion supplémentaires.

La capacité de différer l’imposition personnelle constitue un autre avantage décisif du régime IS. L’entrepreneur peut accumuler des réserves imposées uniquement à l’IS, reportant l’imposition personnelle au moment de la distribution. Cette stratégie s’avère particulièrement pertinente pour financer des investissements importants ou constituer une épargne professionnelle. Néanmoins, la distribution ultérieure génère une double imposition qu’il convient d’anticiper dans la planification fiscale globale.

Impact sur les cotisations sociales et le statut TNS

Assiette de calcul des cotisations sous régime IS

L’option IS modifie fondamentalement l’assiette de calcul des cotisations sociales. Alors que le régime IR impose l’intégralité du bénéfice, le régime IS limite l’assiette aux rémunérations effectives et aux dividendes excédant 10% du bénéfice net. Cette restriction permet de réduire significativement la charge sociale , particulièrement pour les entrepreneurs générant des bénéfices importants qu’ils ne prélèvent pas intégralement.

Un entrepreneur réalisant 100 000 euros de bénéfices et ne se rémunérant qu’à hauteur de 60 000 euros supporterait des cotisations sur l’intégralité sous régime IR, contre 60 000

euros sous régime IS. L’économie devient substantielle sur les hautes rémunérations, où la différence peut représenter plusieurs milliers d’euros annuels de cotisations évitées.

Cette optimisation présente toutefois des limites à respecter scrupuleusement. La rémunération doit rester cohérente avec l’activité exercée et le niveau de responsabilité de l’entrepreneur. L’administration fiscale peut remettre en cause des rémunérations manifestement sous-évaluées, particulièrement si l’entrepreneur distribue simultanément des dividendes importants. La jurisprudence tend à considérer qu’une rémunération inférieure au SMIC constitue un signal d’alarme justifiant un contrôle approfondi.

Modifications du régime de protection sociale

L’option IS ne modifie pas fondamentalement le statut de travailleur non-salarié, mais influence significativement les droits acquis. La réduction de l’assiette de cotisation impacte directement les droits à pension, aux indemnités journalières et aux prestations familiales. Cette diminution peut s’avérer préjudiciable à long terme, nécessitant une évaluation globale incluant les conséquences sur la protection sociale future.

L’entrepreneur sous régime IS conserve la possibilité de cotiser volontairement aux régimes complémentaires pour maintenir un niveau de protection optimal. Ces cotisations facultatives restent déductibles du résultat imposable, permettant de concilier optimisation fiscale et protection sociale renforcée. La planification doit intégrer ces éléments pour éviter une dégradation non anticipée des droits sociaux futurs.

Conséquences sur les droits à la retraite CIPAV ou RSI

L’impact sur les droits à la retraite mérite une attention particulière. La réduction de l’assiette de cotisation sous régime IS diminue mécaniquement les droits acquis auprès de la CIPAV pour les professions libérales ou du régime général pour les autres activités. Cette diminution peut représenter une perte significative de pension future, particulièrement pour les entrepreneurs proches de la retraite.

Une stratégie d’optimisation pertinente consiste à moduler la rémunération en fonction des seuils de validation des trimestres et de calcul des points de retraite. L’entrepreneur peut ainsi maintenir ses droits essentiels tout en bénéficiant de l’optimisation fiscale du régime IS. Cette approche nécessite une planification rigoureuse et un suivi régulier de l’évolution des droits acquis.

La préservation des droits à la retraite constitue un enjeu majeur de l’option IS, nécessitant un arbitrage délicat entre optimisation immédiate et sécurisation des revenus futurs.

Procédure de renonciation et reversibilité de l’option IS

L’option pour l’impôt sur les sociétés n’est pas définitive durant les cinq premiers exercices. L’entrepreneur dispose d’un droit de renonciation lui permettant de revenir au régime de l’impôt sur le revenu jusqu’au cinquième exercice suivant celui au titre duquel l’option a été exercée. Cette possibilité de reversibilité constitue une sécurité importante pour tester l’adéquation du régime IS à la situation spécifique de l’entreprise.

La renonciation s’effectue par notification écrite au service des impôts, selon des modalités similaires à l’option initiale. Cette notification doit intervenir avant le premier versement d’acompte d’IS de l’exercice concerné par la renonciation. Le retour au régime IR s’accompagne de l’application des règles fiscales des sociétés de personnes, assimilant l’entreprise individuelle à une EURL transparente fiscalement.

Passé le délai de cinq exercices, l’option devient irrévocable définitivement. Cette contrainte temporelle nécessite une évaluation approfondie durant la période de réversibilité pour confirmer ou infirmer la pertinence du choix initial. L’entrepreneur doit anticiper l’évolution de son activité, ses projets de développement et ses objectifs patrimoniaux pour prendre une décision éclairée avant l’échéance fatidique.

La planification de la sortie éventuelle du régime IS doit intégrer les conséquences fiscales de la reversibilité. Le retour à l’IR peut générer des régularisations fiscales complexes, particulièrement en matière de plus-values latentes et de provisions constituées sous le régime IS. Ces aspects techniques justifient l’accompagnement par un conseil fiscal expérimenté pour sécuriser la transition et optimiser les conséquences de la renonciation.

Critères de décision Maintien IS Renonciation IR
Bénéfices prévisionnels > 60 000 € < 40 000 €
Besoins de trésorerie Faibles Élevés
Projets d’investissement Importants Limités
Horizon temporel Long terme Court terme

L’option pour l’impôt sur les sociétés en entreprise individuelle représente une évolution majeure du paysage fiscal français. Cette possibilité ouvre des perspectives d’optimisation inédites tout en conservant la simplicité juridique de l’entreprise individuelle. Néanmoins, la complexité des mécanismes fiscaux et sociaux impliqués nécessite une analyse personnalisée approfondie avant toute prise de décision. L’accompagnement par des professionnels qualifiés s’avère indispensable pour exploiter pleinement les opportunités offertes par cette innovation fiscale tout en sécurisant les choix stratégiques à long terme.